Assurance Spatiale : Peut-on assurer une mission habitée sur Mars ?
La semaine dernière, un responsable du Cnes (Centre national d’études spatiales) estimait qu’une mission habitée sur Mars serait possible d’ici 2040-2050 pour un coût d’environ 200Mds de dollars (165Mds d’euros). En termes d’assurances, la tâche s’annonce délicate étant donnée la complexité d’une telle mission.
Francis Rocard, responsable des programmes d’exploration du système solaire au Cnes, révélait la semaine dernière à l’agence Reuters qu’ « une mission habitée sur Mars, on sait que ça ne se mettra pas en branle demain. Ce sera plutôt à l’horizon 2040-2050 ». Et ce dernier d’ajouter que seuls les Etats-Unis sont capables de mettre sur la table les 200Mds de dollars nécessaires à cette mission. Pour le moment la Nasa (National Aeronautics and Space Administration) n’envisage qu’une mission habitée vers un astéroïde autour de 2025, galop d’essai avant la planète rouge. Alors est-il possible d’assurer une mission sur Mars ? La présence d’humains complique-t-elle la tâche pour les compagnies d’assurances spécialisées ? Pour les assureurs s’épanchant sur le spatial, la tâche s’annonce ardue.
La complexité des assurances spatiales
Un assureur seul ne peut porter le risque d’une mission spatiale classique (avec des sommes assurées entre 200 et 700M de dollars). A l’image de l’assurance nucléaire, ce sont des regroupements de compagnies (appelés « pools d’assureurs ») qui se partagent les risques car il n’y a pas assez de lancements chaque année pour organiser une mutualité.
« Nous couvrons de manière générale les missions spatiales commerciales, principalement les satellites de télécommunication et de plus en plus les satellites d’observation », explique Denis Bousquet, expert de la branche spatiale chez Axa Corporate Solutions (la filiale spécialisée dans les grandes entreprises de l’assureur Axa). « Nous assurons la perte de capacité opérationnelle des satellites. Ces derniers doivent remplir une fonction et s’ils ne la remplissent pas, l’assuré est indemnisé. Enfin les satellites sont assurés en Responsabilité Civile pendant la phase de lancement et parfois lorsqu’ils sont en orbite ».
« Les budgets d’assurance peuvent varier entre 8 à 10% du coût total d’une mission (pour des satellites standards de communication) et cela peut aller jusqu’à 20% (pour des satellites et des missions plus complexes) », poursuit Ludovic Arnoux, référent technique en souscription spatiale et aviation chez Allianz Global Corporate & Specialty France (la filiale spécialisée dans les grands risques de l’assureur Allianz).
Mars, trop cher à assurer ?
Alors que le robot américain Curiosity s’apprête à rejoindre Mars (au plus tôt le 6 août prochain) pour une des missions scientifiques les plus attendues (le module va tenter de découvrir si l’environnement martien a pu être propice au développement de la vie microbienne), l’atterrissage sur la planète rouge reste la phase la plus délicate. D’ailleurs, sur les quatorze missions visant à poser un engin sur Mars depuis 1960, la moitié a échoué, précise La Croix.
« Pour les satellites scientifiques comme les missions sur Mars, ces projets sont institutionnels et financés par des agences telles que l’Esa (European Space Agency) pour l’Europe, la Nasa pour les États Unis et bien d’autres. Ce sont des « One Shot » qui ne s’assurent pas car les valeurs à assurer sont très élevées et la technologie utilisée trop spécifique », explique Ludovic Arnoux. « De plus la finalité de ces missions n’est pas de générer des revenus ».
« L’assurance est souvent utilisée pour financer la construction d’un satellite de remplacement en cas de perte. Les projets d’exploration de Mars sont, eux, très spécifiques et répondent à un besoin précis à un moment donné. En cas d’échec les projets suivants seront forcément différents », poursuit M. Arnoux. « La plupart du temps ces missions sont couvertes en RC pour répondre à une obligation légale, en particulier au niveau du lancement, mais pas en dommages ».
« Il est inenvisageable de trouver 200Mds de dollars de capacité sur le marché de l’assurance spatiale classique. Par contre, même si le coût total de cette mission sur Mars est de 200Mds de dollars, une grande partie concerne la recherche et le développement et donc si la mission est un échec, le coût de reconstruction à l’identique serait toujours inférieur au coût initial », poursuit de son côté M. Bousquet. « Un voyage vers Mars peut s’assurer mais cela va dépendre de la mission. Il faut bien définir le critère de succès de cette dernière », ajoute-t-il. « Tout l’enjeu est là. Est-ce qu’on décide que le module reste autour de Mars ou qu’il revienne, cela implique des polices d’assurances particulières, longues et extrêmement coûteuses ».
Des vols habités « inassurables » ?
« En ce qui concerne les vols habités, les missions vers la station spatiale internationale ne sont pas assurés, il existe simplement une garantie du gouvernement américain pour les vols de la Nasa à bord des navettes », ajoute ensuite Denis Bousquet. « Pour les missions sur Mars c’est un autre sujet, loin d’être défini. A court terme je n’imagine pas que ce soit les assureurs qui puissent couvrir ce genre de mission, ça ne pourrait être que les États ».
Quid du tourisme spatial ?
Alors qu’on annonce le début des premiers voyages touristiques dans l’espace d’ici 2013 (le premier vol de Virgin Galactic quittera la Terre pour environ 200.000 dollars), la problématique des assurances est loin d’être réglée.
« Sur les vols habités, le risque lié aux vols dits « touristiques » sub-atmosphériques reste trop élevé pour le moment en raison de jeunesse de cette activité », affirme Ludovic Arnoux. « Les assureurs n’ont pas assez de recul pour évaluer le risque et le couvrir ».
« Il y a de grosses discussions qui commencent à s’amorcer autour du tourisme spatial pour savoir comment assurer cette pratique. On se tournerait plus vers des polices d’assurance aviation comme en cas de crash aérien, mais le débat est encore ouvert », conclut de son côté M. Bousquet.