L’assurance-vie et l’investissement socialement responsable, des valeurs sures?
Créée récemment, la notion d’investissement socialement responsable (ISR) répond de façon ingénieuse à la politique du “tout chiffre” imposée par la finance. Zoom sur un produit alternatif qui concilie épargne et développement durable dans les contrats d’assurance-vie.
L’ISR, quésaco ?
“L’ISR consiste à intégrer dans la gestion financière des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG)” explique Anne-Catherine Husson-Traore, Directrice Générale de Novethic, filiale de la Caisse des dépôts. “A l’analyse financière traditionnelle, qui sélectionne par la méthode classique des entreprises cotées en bourse selon leurs performances, se rajoute une analyse extra-financière. Les sociétés ne sont plus seulement étudiées au travers de leur chiffre d’affaire, mais également par le biais de leur développement durable” complète François Lett, Responsable du Département Éthique et Solidarité chez Ecofi Investissements, annexe du Crédit Coopératif.
Ces fameux critères ESG se concentrent par exemple, du côté environnemental, sur l’implication d’une entreprise dans sa réduction de gaz à effet de serre, dans sa gestion des déchets, dans sa prévention des risques environnementaux. Pour l’aspect social, il s’agira davantage du respect des droits des employés, de la prévention des accidents, de la formation du personnel, du dialogue social. Quant à la notion de gouvernance, elle s’attache à garantir la “vertu” et la transparence de l’entreprise. En regardant du côté de la structure de gestion, en recherchant la présence d’un comité de vérification des comptes, en sondant l’indépendance du conseil d’administration.
Ainsi, en plaçant son argent dans une société estampillée “socialement responsable”, l’épargnant se rassure. Il donne à son investissement une note plus bio, plus solidaire et plus éthique.
L’ISR est-il crédible ?
Comment savoir quelles entreprises répondent à ces critères ESG? Comment reconnaître celles qui se distinguent? Des agences spécialisées, telles que Vigeo, Ethifinance ou Eiris, se sont créées et notent les sociétés selon leur respect des valeurs éthiques. Les petits cabinets qui se sont érigés au commencement cèdent peu à peu leur place à des grands groupes qui possèdent désormais des équipes dédiées, et formées à l’évaluation. Le problème étant que sans réglementation commune, la note diffère d’un pays à l’autre. “Il y a un énorme biais culturel dans la façon de noter une entreprise. La France met l’accent sur le social, l’Allemagne sur l’environnemental et la Suisse sur la gouvernance. La méthodologie et l’appréciation ne sont pas les mêmes” clarifie Anne-Catherine Husson-Traore.
Ainsi l’ISR met-il en scène deux écoles. D’un côté celle de l’Europe occidentale qui pratique le “best in class”. A interpréter comme “meilleure de la classe”. Les entreprises arborant les meilleures notes sont valorisées. D’un autre côté, les États-Unis ou la Grande Bretagne privilégient l’exclusion. Toutes les entreprises des “secteurs du péché” (alcool, tabac, armement, pornographie…) sont éliminées d’office. “En Suisse le nucléaire est très souvent exclu. Alors que vous vous imaginez bien qu’en France, la politique de la maison c’est de plutôt vanter ses mérites” plaisante Anne-Catherine Husson-Traore.
On pourrait donc à l’heure actuelle reprocher à l’ISR un certain manque de crédibilité, en raison de son absence de consensus international et d’une certaine confusion au sein des notations.
Peut-on faire confiance à l’ISR ?
En 2009, Novethic a lancé en France le premier label ISR. Cette distinction a pour but de donner aux investisseurs quelques pistes pour se repérer entre plus de 300 fonds qui s’auto-caractérisent ISR. La transparence est la clé de voute du processus. Pour obtenir le label, il est exigé que la société de gestion publie la liste complète et la composition des titres dans lesquels elles investissent. “Nous avons souhaité répondre à une très forte demande de la société civile. Si vous voulez manger bio, que vous ne souhaitez pas des textiles fabriqués par des enfants au Cambodge ou que vous ne voulez pas aider un modèle d’agriculture qui pollue les sols, c’est votre droit fondamental et il n’y a pas de raison que l’on vous refuse, ou l’on vous floute, sur le fléchage de votre épargne” déclare Anne-Catherine Husson-Traore. “L’ISR ne doit pas être un risque mais une question de bon sens” renchérit-elle. La Directrice Générale de Novethic milite pour la mise en place d’indicateurs de performance. “Ne serait-ce pas intéressant de pouvoir quantifier que son investissement a permis de réduire de 10% les émissions de CO2 dans un pays fortement industriel, ou que son épargne a créé 25% d’emplois supplémentaires au Bangladesh ?”
L’ISR a le vent en poupe
C’est justement parce que les investisseurs lui font confiance que l’ISR a aujourd’hui autant le vent en poupe. “Les placements éthiques se portent bien. L’ISR a progressé de 29% en 2012 avec 149Mds d’euros de fonds gérés. C’est moins qu’en 2011 où la croissance avait été de 69% mais il faut voir le verre a moitié plein. Cela fait une dizaine d’années que l’ISR est dans une bonne dynamique, on ne peut pas toujours afficher un développement de l’ordre de 70%” relativise François Lett, Responsable du Département Éthique et Solidarité chez Ecofi Investissements. Reste que l’ISR se révèle difficilement comparable face à sa gestion d’actifs nouvelle génération. Aucun référentiel ne permet à ce jour d’analyser sa progression, en la mettant en relation à celle d’un précurseur. “L’évolution est très atone en raison de la crise financière. Mais de 1% des investissements globaux en 2001, l’ISR est passé aujourd’hui à presque 10%. Il va lentement mais surement” confie Anne-Catherine Husson-Traore.
Seulement bémol, les particuliers ne sont pas les initiateurs de son ascension. Ils ne détiennent à l’heure actuelle en France qu’un tiers des encours. Le reste se trouvant entre les mains des institutionnels et des employés par le biais de l’épargne salariale.
L’ISR peine-t-il à convaincre les particuliers ?
Si les particuliers restent aujourd’hui si étrangers à l’ISR, ce n’est pas par méfiance, désaveu ou rejet, mais par manque de connaissance. Aujourd’hui, seuls 8% des Français indiquent savoir ce qu’est l’ISR. Pourtant, si l’on compare à la notion de commerce équitable, nouveauté également engendrée par les années 2000, le message s’est répandu, à la différence, comme une trainée de poudre. Alors pourquoi l’ISR n’a-t-il pas suivi le même chemin? En cause, une information non relayée par les canaux directement en relation avec la clientèle : les agences bancaires. “Le problème vient du fait que le conseiller ne connait pas mieux l’ISR que l’épargnant qui le consulte. Ils n’y sont pas formés. On a vu des cas où les clients faisaient des démarches proactives pour se renseigner sur certains fonds et contrats, mais qui au bout de 2 ans n’avaient toujours pas de réponse de leur agence” déplore Anne-Catherine Husson-Traore.
Alors malgré tout, l’ISR est-il une valeur sure ?
“L’ISR est sans nul doute une valeur sure. Éthique, traçabilité, transparence et performance, que demander de plus ? Mais le terme et ses fonds d’investissements sont trop complexes à expliquer. Dans l’imaginaire d’un particulier, la méthodologie d’évaluation des entreprises ne signifient rien, il ne voie que des chiffres, des notes fourre-tout qu’il n’appréhende pas. Danone a obtenu 8 sur 10. Ok! Et alors ?” constate François Lett.
Ainsi pourrait-on conclure que l’ISR n’est pas fondamentalement différent de l’investissement classique. L’un mise sur le rendement, l’autre cherche à conférer une certaine morale à des placements financiers. On pourrait sentir poindre là la bonne vieille théorie de l’utilitarisme : “tout ce qui est utile est bon, l’utile est source de toutes les valeurs”. Et ce ne serait pas faux. Oui, l’ISR s’inscrit sans doute dans cette doctrine. Mais…assaisonné à la sauce XXIème siècle. Il ne relève pas du don et n’en oublie pas pour autant son caractère libéral. Investir éthique, d’accord, mais sans mettre de côté le facteur rentabilité cher aux épargnants. Car l’ISR rapporte, et même autant que tout placement financier traditionnel.