Que va-t-il réellement se passer avec cette complémentaire santé pour tous ?
D’ici à 2016, tous les salariés bénéficieront d’une complémentaire santé collective, cofinancée par leur employeur. Une mesure positive en apparence, mais qui ne fait pas l’unanimité.
Principes fondamentaux
Tous les salariés du privé auront accès, d’ici à 2016, à une complémentaire santé collective, prise en charge par leur entreprise dans un minimum de 50%. Une mesure nommée ANI, accord national interprofessionnel, retranscrite dans le premier article du projet de loi de sécurisation de l’emploi. Elle a été conclue en janvier entre le patronat et les syndicats. A l’exception des sociétés dites “hors champs”, implantées dans des secteurs tels que l’agriculture, l’économie sociale, la presse ou le service public, toutes les entreprises seront incluses dans le dispositif.
Depuis le 1er avril 2013, des négociations se tiennent au sein des branches professionnelles. Afin de définir quel sera l’organisme de protection (mutuelles, sociétés d’assurances, institutions de prévoyance) le plus compétitif. Si les discussions n’aboutissent sur aucun accord avant le 1er juillet 2014, les sociétés devront choisir individuellement leur assureur.
Enfin, si là encore aucun accord ne voit le jour, le projet de loi imposera à chaque société d’instaurer au 1er janvier 2016 un régime complémentaire santé a minima. Personnel et non familial, il sera cofinancé par l’employeur et son salarié à 50-50. Le contrat collectif offrira un panier de soins se situant entre le ticket modérateur et la CMU-C. Soit 100% de la base de remboursement Sécurité Sociale (BRSS) pour les consultations, les examens, les médicaments et le forfait journalier hospitalier, 125% de la base de remboursement des prothèses dentaires ainsi qu’un forfait optique de 100 euros par an.
Que vont y gagner les salariés ?
“L’ANI est une véritable avancée en matière de généralisation de la complémentaire santé à tous les salariés” déclare Patrick Petitjean, Président de l’APAC (Association pour la promotion de l’assurance collective). Jean-Martin Cohen-Solal, Directeur Général de la Mutualité Française ajoute : “l’objectif est de transformer des contrats individuels non aisés en contrats collectifs aisés plus couvrants”. 17 millions de Français sont ainsi concernés. Si un peu plus de la moitié était déjà couverte par un contrat collectif (52% en 2010), pour les 4 à 5 millions qui en étaient exemptés, (dont 414.000 qui ne disposaient que de l’Assurance maladie en guise de protection), la nouvelle est de taille. “C’est une excellente chose, s’exclame Eva, opératrice dans une agence de voyage indépendante. Nous ne sommes que 5 à travailler ici donc, jusqu’à présent, obtenir un contrat collectif tenait plutôt du fantasme”.
Matthieu, vendeur dans un magasin de prêt-à-porter, complète : “Ça aidera toujours à payer moins cher. Aujourd’hui je dépense plus de 65 euros par mois pour ma mutuelle car j’ai quelques soucis dentaires et de gros besoins en optique. Donc si mon chef paie une partie, c’est tout bénéfice”. Mais le bonheur des uns créé parfois le malheur des autres…
Les entrepreneurs mécontents
En revanche, le dispositif ne promet aucun réel avantage pour les entreprises qui étaient jusqu’alors dépourvues de contrats collectifs. Majoritairement des TPE/PME. Aucun bienfait, hormis de se prévaloir de fournir un meilleur cadre de vie professionnel à ses salariés. Ces entreprises-là seront les grandes perdantes du projet de loi. “Aujourd’hui, la mise en place d’une mutuelle santé entreprise coute relativement cher. A peu près 80 euros par mois en moyenne, divisés ensuite en fonction de la répartition employeur/salarié. En somme l’entreprise devra assumer à l’année sur chaque tête 2%, voire plus, de cotisations supplémentaires imprévues” explique Jean-Christophe Procot, Senior Manager Rémunération et Ressources Humaines chez Kurt Salmon. Le coût global de mise en place des contrats collectifs obligatoires est estimé à 2,5Mds d’euros. “Fallait pas s’attendre à ce qu’on réagisse bien à la nouvelle, peste Farès, gérant d’une enseigne de restauration rapide. J’ai peut-être que 14 employés mais payer une partie de leur mutuelle va me couter un bras. Imaginons que je débourse 25 euros par mois pour chacun, cela donne sur 1 an une ardoise de 4.200 euros. Avec toutes les charges que j’ai déjà, c’est trop”.
La liberté de choix des entreprises mise à mal
Les sociétés de mêmes secteurs ne disposant pas de complémentaire santé collective vont pouvoir, tel que c’est le cas aujourd’hui, se regrouper en branches professionnelles. Pour être couvertes par le même organisme de protection. C’est là qu’interviennent les “clauses de désignation”. Cette mutualisation n’est pas sans détenir quelques attraits. D’une part, le rassemblement d’une myriade d’entreprises, et par corrélation d’un grand nombre de salariés, permet de bénéficier d’avantages tarifaires certains. D’autre part, les mutuelles, compagnies d’assurance et Institutions de prévoyance qui « candidateront » pour être choisies par la branche professionnelle, proposeront des contrats santé dédiés aux métiers protégés. “Dés lors que l’on travaille sur une branche, on a la possibilité d’adapter nos garanties à la réalité de la profession. Les risques de santé, la consommation médicale, les besoins de prévention ne sont pas les mêmes. Nos produits sont spécifiquement conçus et personnalisés pour chaque branche” explique Christophe Scherrer, Directeur du développement chez Malakoff Médéric. Tout porte donc à croire que les salariés jouiront de complémentaires plus efficaces et plus couvrantes que celles qu’ils possédaient auparavant.
La situation est quelque peu différente lorsque rentre en ligne de compte les « clauses de migration ». “Pour porter le régime, il est fait obligation aux entreprises de se rattacher à leur branche. Donc, celles qui étaient déjà assurées devront résilier leur contrat actuel pour rejoindre celui désigné. Elles risquent d’y perdre en garanties et en tarif, explique Patrick Petitjean, Président de l’APAC, donc ça pose la problématique importante du libre choix des entreprises à s’assurer auprès de qui elles souhaitent”.
En effet, les volets “clauses de désignation et de migration” sont actuellement au cœur de tous les débats. Vivement critiquées par leurs détracteurs pour ce libre choix égratigné. La désignation, dans les branches, de l’organisme de protection ne s’effectuera qu’en amont entre les partenaires sociaux et grands chefs d’entreprises. Les TPE/PME lambdas ne seront pas consultées et se retrouveront exclues des discussions. Elles n’auront aucune possibilité de délivrer leur propre avis. Le contrat collectif choisi leur sera imposé, elles devront se ranger docilement à la décision de leur branche.
Un gouffre économique pour l’Etat ?
Les entreprises profiteront cependant d’une certaine aide publique. “A l’heure actuelle, les contrats collectifs bénéficient d’exonérations fiscales et sociales, indique Jean-Martin Cohen-Solal, directeur général de la Mutualité Française, qui entraine une perte de recettes pour la Sécu de l’ordre de 2Mds d’euros”. Alors pourquoi le gouvernement a-t-il mis tant d’ardeur à déployer cette mesure de l’ANI ? “La généralisation de la complémentaire santé pour les salariés crée un deuxième niveau de couverture universelle, partiellement pris en charge par les entreprises. La Sécurité sociale qui se penchera sur les risques lourds sera donc soulagée des plus légers en les renvoyant sur le privé. L’Etat a bien vu le sujet et y trouve son intérêt en terme de gestion budgétaire” confie Patrick Petitjean. 2Mds d’euros de privation seront tout de même à déplorer, un sacrifice à mauvais escient selon Jean-Martin Cohen-Solal qui regrette que cela ne soit que dans l’intérêt des salariés. “Le dispositif laisse de côté les 3M de précaires qui n’ont pas du tout de complémentaire santé, ou ceux qui auraient lourdement besoin de la généralisation comme les chômeurs ou les retraités. Le projet est une étape mais il est insuffisant”. Olivier Arroua, Associé Fondateur au sein du cabinet de conseil Selenis, rajoute : “L’Etat légifère pour faire payer les entreprises mais quand il s’agit de financer lui-même, il légifère beaucoup moins. Certes les grands oubliés reçoivent aujourd’hui des allocations, des prestations ou ont accès à la CMU, mais rien n’a été prévu pour eux”.
Hautement contesté, l’ANI engendre aujourd’hui un climat tendu et complexe. L’Assemblée nationale a voté ces problématiques clauses de désignation et de migration, que le Sénat a préféré ôter. Elles ont été réintroduites par la suite en commission paritaire, composée de sénateurs et députés. Rien n’est encore déterminé mais le projet semble parti pour être validé dans son état actuel.