Epargne : Comment BNP Paribas a gardé des millions d’euros d’assurance-vie non réclamés
Qu’a fait BNP Paribas pour subir une amende maximale de 10 millions d’euros du gendarme du marché sur les assurances vie non réclamées ?
L’ACPR, le gendarme des banques et assureurs, a voulu marquer les esprits en infligeant un blâme et une amende de 10 millions d’euros à Cardif, la filiale d’assurance de BNP Paribas, pour ses manquements concernant les contrats d’assurance vie en déshérence. Ces contrats dormant dans les comptes des assureurs, dont le souscripteur est décédé et son bénéficiaire désigné n’a pas pu récupérer le capital (bénéficiaire introuvable, manque de précision sur le nom du bénéficiaire, contrat oublié, négligence de l’assureur…)
Lors de son audition devant la commission des Finances de l’Assemblée nationale, en octobre 2013, le vice-président de l’ACPR avait averti qu’il y aurait des sanctions sur ce dossier épineux des assurances vie non réclamées, évoquant des “situations honteuses et scandaleuses”.
La sanction de 10 millions est la plus élevée accordée par l’ACPR (autorité de contrôle prudentiel et de résolution), seule la banque UBS France avait subi une telle mesure pour fraude fiscale en juin 2013. Au départ d’ailleurs, l’ACPR prévoyait une amende de 15 millions d’euros qu’elle a accepté de revoir à la baisse compte tenu des efforts réalisés par le bancassureur a posteriori. Qu’a donc fait Cardif pour devoir payer si cher ?
Près de 50% des dossiers non instruits
Pour le gendarme de l’assurance, Cardif n’a clairement pas respecté la réglementation des contrats en déshérence qui a été renforcée par la loi de décembre 2007 (à noter, une nouvelle proposition de loi plus contraignante est actuellement en examen). Actuellement, les assureurs ont l’obligation de consulter au moins une fois chaque année le répertoire RNIPP des personnes décédées. Lorsqu’ils sont informées du décès d’un assuré par ce moyen ou un autre (notaire, par exemple), ils doivent rechercher activement le bénéficiaire du contrat d’assurance vie.
Mais après deux missions de contrôles réalisées en 2013, l’ACPR a constaté que la filiale de BNP Paribas n’avait recherché qu’un bénéficiaire sur deux. Entre le premier semestre 2010 et avril 2011, le bancassureur a effectué ses premières consultations de fichiers d’assurés décédés par lots. Il a obtenu “8.194 informations de décès, pour un montant total de capitaux décès évalué à 95,4 millions d’euros (…) 4 003 dossiers, soit 48,8 %, n’ont jamais été instruits à l’initiative de Cardif Assurance Vie. Le montant exact des capitaux décès concernés par ces dossiers n’a pu être communiqué par l’organisme”, a indiqué l’autorité dans sa décision. Cardif a eu recours à des critères de sélection pour choisir les contrats les plus prioritaires et a exclu de ses recherches un nombre important de personnes, attendant que les bénéficiaires se manifestent eux mêmes. Selon le bancassureur, 2.792 d’entre eux l’ont finalement contacté. Mais selon la loi, il devait pourtant traiter tous les dossiers sans distinctions et alerter dès que possible les bénéficiaires par ses propres moyens.
Cardif a laissé traîner les choses, laisser les années passer. En regardant de près 80 dossiers toujours non réglés depuis deux ans à partir de la connaissance par l’assureur du décès de l’assuré, les agents de l’ACPR ont constaté que les moyens de recherche étaient insuffisants pour 51 dossiers (64%), “alors même que les capitaux en cause pouvaient être importants“. Et dans 39 dossiers (49 % des dossiers), le suivi a été abandonné parfois pendant plusieurs années.
Des résultats de 100% avec un cabinet de généalogie
Preuve de ce manque de volonté, Cardif n’a pas cherché, par exemple, à travailler avec un cabinet de généalogie alors qu’il ressort sur un échantillon test des dossiers un taux de succès de 100% dans la recherche des bénéficiaires par un cabinet choisi par l’ACPR !
Interrogé par l’autorité de contrôle, le bancassureur estime à 116 millions d’euros le montant des capitaux décès non encore réglés, à fin mai 2013. Mais Cardif connaît d’ailleurs assez mal ce stock de dossiers décès et a tardé à mettre un outil de pilotage des dossiers en souffrance.
En outre, l’autorité de régulation reproche à Cardif de ne pas avoir respecté la réglementation sur “la revalorisation automatique des contrats d’assurance-vie comportant des valeurs de rachat” entre la date du décès de l’assuré et le versement du bénéfice. Cardif n’a effectué de revalorisation que sur demande expresse des bénéficiaires.
Globalement, Cardif se défend en mettant en avant un investissement de 8 millions d’euros réalisé pour rechercher les bénéficiaires. Des efforts “déployés trop tardivement pour traiter, dans un délai raisonnable, les informations sur la survenance de décès issues des consultations du RNIPP“, réplique l’ACPR. Les dossiers de recherche des assurés ouverts en 2010 ont abouti seulement à la fin 2013.
“Une conservation indue de sommes, un préjudice pour les bénéficiaires, un effet négatif quant à la confiance des assurés“
Pour la commission des sanctions de l’ACPR, tous “ces retards se sont initialement traduits, pour Cardif, par de moindres dépenses au regard de ce qui était nécessaire et par la conservation indue de sommes qui auraient dû être versées aux bénéficiaires ; qu’il en est résulté aussi un préjudice pour ceux-ci ainsi que, sur un plan plus général, un effet négatif quant à la confiance des assurés pour ces produits“.
Face à cette sanction, BNP Paribas, qui d’ailleurs ne souhaitait pas que cette décision soit rendue publique, dit “prendre acte” et pourrait aussi formuler un recours dans les deux mois.
D’après un rapport de la Cour des comptes, au moins 2,76 milliards d’euros de contrats d’assurance vie en non réclamés ont été identifiés dans les comptes des assureurs. Une proposition de loi, actuellement en cours au Parlement, doit venir renforcer les règles d’ici à 2016. Le texte prévoit plus de contrôles à l’initiative de l’ACPR, que les frais de gestion qui vidaient les comptes dormants soient plafonnés, une meilleure revalorisation des contrats et un transfert des comptes non réclamés depuis 10 ans à la Caisse des Dépôts et Consignation, puis à l’Etat après 30 ans au lieu d’être définitivement acquis par les assureurs aujourd’hui.